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❧ Epistre XIII à Monsieur de Saint Jan, son maistre

Si je pensois (seigneur prudent et sage,
Seigneur où gist vertu, grace et courage)
Si je pensois que mes pauvres escritz,
Et doulx labeurs et plaisir avez pris,
Fussent de vous autant favorisez,
Comme autresfois les avez prisez,
Je metrois peine à vous en presenter
Plus que jamais, je m’en puis bien vanter.
Et si n’estoit que crainte me repoulse,
Je chercherois une veine si doulce,
Que vous prendriez tout autant de plaisir,
Comme avez faict, m’en donnant le loysir.
Mais quand je pense à ceste mienne audace,
Qui delaissa vostre faveur et grace ;
Quand je me plains de mon departement,
Plus soudain fait qu’inventé seulement,
Je me tay coy, les armes j’abandonne,
Je ne dy mot, je ne chante et ne sonne :
Brief je me rens si caché et reclus,
Qu’en y pensant d’Aurigny ne suis plus.
Plus je ne suis, si vostre humanité
Ne me me refait ainsi que j’ay esté.
Et sçavez vous, seigneur tresdebonnaire,
Comment pourrez tout entier me refaire ?
Commandez moy que j’escrive et compose
A mon esprit qui par trop se repose,
Je vous supply, commandez aigrement.
En ce faisant vostre commandement
(Qui envers moy ne peult trouver reffus)
Me fera mieulx que jamais je ne fus.
Las, vueillez donc exaucer ma priere,
Noble seigneur, ne retirez arrière
Mon pauvre esprit, qui de vray est tant vostre,
Qu’il n’est plus mien, encore moins à autre.
Faictes qu’il soit par vous entretenu,
Pour estre à vous obligé et tenu.
Puis je diray qu’ayant de bout en bout
Long temps cherché, j’ay trouvé Un pour tout :
Car "un" c’est vous ; et ce "tout" se refere
A mon esprit : je ne puis donc rien faire
Sans vous et luy. Helas, donc recevez le,
Car le royal Psalmiste le revele :
Qui congnoissant entierement sa faulte,
Mesle les pleurs avecques la voix haute,
Et crie ainsi : "Seigneur helas ! Seigneur,
Ayme sans plus ton humble serviteur ;
Fais que son ame en toy se vivifie,
Puis qu’en toy seul entierement se fie".
Vous povez bien cognoistre par ce poinct
Que je vous prens pour seineur tout à poinct ;
Seigneur sans plus, quant à l’humanité,
Qui se rend serve à vostre dignité :
Car autrement l’ame seroit meurdrie
Par ce vil corps taché d’idolatrie.
Ha ! je ne vueil pour richesse ou avoir
Devant mes yeulx encore un Dieu avoir ;
Il n’est pas dict que vivant en ce monde,
Servant à Dieu (duquel tout bien redonde),
Ne soit requis quelque sage homme elire,
Pour parvenir où nostre esprit aspire ;
Ce que je fais : car à vous je m’attens,
Ayant regret de perdre ainsi mon temps.
Parquoy (seigneur où gist tout mon support)
Ottroyez moy qu’avant ma triste mort
Ceste devise, Un pour tout, soit trouvée,
Pour vous sans plus, et par vous approuvée.
Source
Copiste

Claire Sicard

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